La première personne du singulier

Dans ces brefs récits (qui sont un petit peu, aussi, des poèmes) Jean Tardieu ne se propose pas seulement de nous divertir. On connaît son humour ; dans Monsieur Monsieur, il avait un ton parfois désespéré ; dans Un mot pour un autre, c'était la cocasserie et le comique qui prédominaient. La première personne du singulier clôt cette série sur un ton un peu plus grave. Qu'est-ce que la première personne du singulier ? C'est celui qui dit «Je» ; mais c'est aussi la première personne venue : celle qui pourrait être vous. Imaginez un petit garçon qui, dans une grande maison d'autrefois, écoute la conversation de ses parents et de
quelques amis par un «tuyau acoustique». Il distingue mal les paroles ; mais à la succession des bruits qu'il entend, il s'imagine Dieu sait quelle comédie, Dieu sait quel drame, avec des combats et peut-être des morts. O r, il n'y a de l'autre côté du mur que quelques peronnes
qui, paisiblement, prennent le thé... Mais où est le vrai ? Dans la réalité ou dans l'imagination ? Cette histoire fournit la matière à l'un des récits de La première personne du singulier, et elIe résume bien l'idée de Jean Tardieu (une vieille idée philosophique) : 
«Le monde est un secret bien gardé.»